Au cinéma, en littérature, ce serait l’heure de gloire pour les anti-héros, clament les gazettes, l’œil sur les hit-parades. Mais que faire si vous trouvez Bienvenue chez les Chtis ! désespérément indigeste (Seigneur, ayez pitié de nous ! rendez-nous Bourvil !) et que l’Elégance du Hérisson vous tombe des mains – boum ! – malgré votre bonne volonté ? Ose-t-on aussi avouer s’être endormi à Amélie Poulain ? Trouver Odette Toulemonde tarte ? Et pleurer la mort il y a quelques jours de Richard Widmark, qui incarna si admirablement à l’écran les personnages ambigus, tordus, noirs et déchirants ? N’était-ce pas lui qui représentait le mieux à l’écran les « anti-héros » dans des films où les grands cinéastes hollywoodiens des années cinquante analysaient de façon impitoyable le mal qui rongeait l’Amérique? Qu’on cesse donc de prétendre que les anti-héros sont sortis de l’œuf à Pâques 2008 ! Et le Joseph K de Kafka, les personnages de Woody Allen ou Ignatius Reilly, le sublime garçon perdu de La Conjuration des Imbéciles de John Kennedy Toole, alors ? D’accord, ils n’ont pas grand-chose de commun avec Dany Boon ou Eric-Emmanuel Schmitt.
Reste que les anti-héros ont aujourd’hui la cote, quelles que soient leurs performances. L’exemple vient d’en haut : dans le fauteuil de Roosevelt s’agite G.W. Bush, Sarkozy dans celui de de Gaulle, Ehud Olmert à la place de Ben Gourion et les jumeaux Lech Kaczinsky ont succédé aux héros de Solidarité. Même en politique, faut faire terne comme pour faire taire le passé : le fantôme sans nom de Poutine en Russie, des marionnettes grisâtres et inquiétantes en Chine. Passons un voile pudique sur la Belgique.
De là cette impression que le monde est divisé en deux : les tristes, modestes, incompétents d’un côté et les monstres de l’autre – Ahmadinedjad, le terrifiant mais caricatural premier ministre iranien, Ben Laden, les guérilleros des FARC ou du Congo- devant lesquels les modestes qui guident la communauté internationale restent impuissants.
Jadis, au moins, il y avait les bons et les méchants, c’était plus simple et plus passionnant. John Wayne contre Richard Widmark, Don Quichotte contre les moulins, Bob Dylan contre Frank Sinatra, et même Kennedy contre Nixon (on ne savait pas encore comme le héros était pourri), c’était autrement plus exciting que Bush contre Ben Laden, ou la gueguerre entre « pragmatiques » et « idéologues » au sommet du pouvoir à Téhéran…
Tiens, pour balayer cette mélancolie, allez donc voir « Darjeeling limited », le film de Wes Anderson, délicieuse balade de trois frères américains en quête de leur mère et d’eux-mêmes à travers l’Inde : en voilà des anti-héros qui ne sacrifient ni aux lieux communs, ni au gnangnan à la mode et qui démontrent que l’art de faire confus est parfois aussi un art !
Alain Berenboom
www.berenboom.com