Imaginez que, lassé du chômage et des promesses jamais tenues sur le redressement de votre région, le plan Laurel, le plan Hardy, vous quittiez votre maison, vos amis, tout ce que vous aimez pour donner un avenir à vos enfants. Direction : le Kazakhstan, ce far East qui se donne des allures de conquête de l’Ouest de jadis. C’est pas rigolo mais il y a du boulot. Vous n’avez pas grand-chose en poche : les passeurs, la nourriture ont mangé votre maigre pécule. Bien sûr vous n’avez pas de papiers, pas de visa. L’entrée au Kazakhstan par la voie légale est pratiquement impossible. Comme le dit son éternel président : « Notre pays ne peut accueillir toute la misère du monde ». Cela vous rappelle quelque chose mais en kazakh, la phrase sonne plus poétique qu’en français et en flamand. Justement le kazakh. Vous qui connaissez le français, un peu de wallon et quelques mots d’anglais grâce aux jeux vidéos de votre fils, vous vous grattez la tête. Mais vous êtes intelligent, énergique, vous voulez vous intégrer. Donc, vous parvenez à décrocher un petit boulot puis un autre. Votre femme fait les ménages des nouveaux riches. Au bout d’un an, vous vous débrouillez en kazakh. Vous avez appris à déchiffrer les caractères cyrilliques et vous comprenez même le russe, l’autre langue principale du pays. Vos enfants qui brillent à l’école se sont faits des copains avec lesquels ils fêtent Nauryz, le premier jour du mois lunaire, la grande fête chamaniste du printemps. Ils ne peuvent les accompagner lors des voyages scolaires en Russie ou en Ouzbékistan mais ils parlent mieux la langue locale que bien des Russes installés dans la région depuis l’époque stalinienne. Et voilà qu’un jour, vous recevez un ordre de quitter le territoire. Quand vous avez essayé de légaliser votre situation, vous avez découvert que le mot kafkaïen est universel. Les critères de régularisation sont obscurs. Ceux qui obtiennent un permis de séjour doivent jurer de garder le secret. Voilà sept ans que vous êtes là sur les bords de la mer Caspienne, vos à l’école, vous travaillez, décidé à terminer vos jours dans ce pays devenu le vôtre même si de temps en temps la nostalgie de votre petite ville de Wallonie vous taraude, les amis, le foot et les promenades du dimanche sur la rivière. L’office des étrangers, le ministre de l’intérieur n’en ont cure. Back to Brussels south ! Quand vous débarquez, vous avez envie de pleurer. Charleroi est devenue plus étrangère qu’Alma Ata.
Ce billet est dédié à une famille kazakh de Blankenberge installé depuis plus de sept ans en Belgique que le ministre de l’intérieur a décidé de renvoyer malgré une décision du tribunal de Bruges.
Alain Berenboom
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